Faut-il attendre la crise pour changer ?

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Rencontre du lundi 15 décembre 2008

13 personnes étaient réunies :

Christian ; Nathalie ; François ; Dominique ; Jenny ; Astrid ; Nadège ; Serge ; Jean-Christophe ; Florence ; Daniel ; Dominique ; Henk

Thème : Faut-il attendre la crise pour changer ?

« Ce qui compte dans un chemin, ce qui compte dans une ligne, c’est toujours le milieu, pas le début ni la fin. On est toujours au milieu d’un chemin, au milieu de quelque chose. » 

Gilles DELEUZE – « Dialogues avec claire PARNET ».

L’histoire commence avec celle d’un certain nono.

Il avait toujours appris à se « conformer », parce que l’éducation, de son temps, c’était comme ça !

Jusqu’à un certain jour – aux environs de la quarantaine – quand son patron lui refusa une augmentation de salaire. Jusque là nono avait toujours su éviter tous les conflits, avec qui que soit ; mais surtout avec ses parents et tous ceux qui détiennent l’autorité.

Brusquement venait de s’établir une situation de crise qu’il n’était certainement pas préparé à affronter.

La crise est un état, qui dénonce une situation de non-retour ; un seuil à partir duquel les choses ne seront plus comme « avant ».

La crise est la preuve d’une usure du système, quel qu’il soit, et d’une accumulation de désillusions, de rancoeurs, d’insatisfaction. Il y a des crises dans tous les domaines : religieux, économique, politique, historique, conjugal, personnel, boursier, réchauffement de la planète, de la cinquantaine… Tout devient crise ; crise de la crise… « Dieu est mort, Marx est mort, et moi-même je ne me sent pas très bien » disait Woody Allen.

Peut-on voir arriver la crise ? Globalement la réponse est non. L’absence de conscience, le refus de « voir » les problèmes qui s’annoncent peu à peu, le refoulement dans l’inconscient des choses qui gênent, les petits arrangements entre copains et coquins, les groupes de pression, les moutons de PANURGE… Autant de sources de crises futures.

Crise, du latin « crisis », du grec « krisis » : « décision »… « Changement subit ». La crise implique que l’on aura à prendre une décision rapidement, à chaud, mais qui ne peux jamais être un retour à une position historique antérieure. La crise oblige à se repositionner, à trouver une solution « en situation », ici et maintenant.

Qu’est-ce que  la « crise » ?

La question est existentielle, et pose en fait une problématique :

La crise précède-t-elle la prise de conscience ? Ou bien est-ce l’inverse

La crise précède-t-elle le conflit,  ou bien la Crise est le conflit ?

Qui décide qu’il existe une situation de crise ? L’individu, le Peuple, les experts, les politiques ? La crise est-elle le fait de l’homme, ou bien la résultante de cycles ?

Mais pire encore : Qui est responsable, qui est coupable ?

La crise apparaît comme un moment particulier sur la longue courbe de l’histoire, démontrant la nature entropique (usure) de l’univers. D’où la question philosophique suivante  : dans toute cette histoire, l’homme est-il responsable pour quelque chose, ou bien quoi qu’il fasse, tout lui échappe ?

Thèse avancée

La question a été longuement discutée, appréciée par certains côtés, puis repoussée par d’autres, mais elle ne peut laisser indifférent. Il serait tout à fait orgueilleux de la part de l’humain de penser qu’il puisse en quelque façon que ce soit changer la course des planètes. Certes la pollution et les gaz à effet de serre, modifient l’environnement, mais même si l’homme modifie sa politique en ce domaine, cela ne changera pas d’un iota la fin inéluctable de notre planète dans quelques milliards d’années. De toutes manières, l’être humain disparaîtra en son temps, et la courbe historique du temps, cycles après cycle, lui échappe totalement.

nono peut-il changer sa vie. Il peut croire, parce qu’il a réagi brutalement au refus de son patron, qu’il a déclanché une crise, alors qu’en fait il ne fait que constater celle-ci. Toute une vie de relative confortable soumission au système lui apparaît brusquement invivable. Il voudrait redistribuer les cartes autrement.

Il faudrait peut-être reprendre les choses autrement.

Pour leibniz Dieu a produit le meilleur des mondes possibles (parmi tous les mondes qu’il aurait pu tout aussi bien créer).

Quant à hegel, « L’homme fait son apparition comme être naturel se manifestant comme une volonté naturelle (…) besoin, désir, passion, intérêt particulier, opinion et représentation subjectives. Cette masse immense de désirs, d’intérêts et d’activités constitue les instruments et les moyens dont se sert l’Esprit du Monde pour parvenir à sa fin, l’élever à conscience et la réaliser.  C’est leur bien propre que peuples et individus cherchent et obtiennent dans leur agissante vitalité, mais en même temps ils sont les moyens et les instruments d’une chose plus élevée, plus vaste qu’ils ignorent et accomplissent inconsciemment. »[1]

Bref, si Dieu ne peut faire mieux, et si l’homme est à la fois moyen et instrument de l’Esprit du Monde… Quid de la crise ?

Quelles sont les origines de la guerre de 14-18 ? Pourquoi le conflit armé devenait il le seul exutoire d’une crise européenne qui durait depuis plusieurs décennies ? Les hommes étaient ils mieux à même que nono de faire face à une accumulation de faits et contraintes qui leur échappaient en grande partie ?

« Apocalypse Now », le film de Francis Ford coppola, décrit l’histoire d’une situation de crise particulière au milieu d’une crise plus générale. Et si l’apocalypse n’était pas la fin d’un système (le soleil mange la terre) mais au contraire une situation permanente de crise(s) qu’il faut tenter de résoudre, notamment par la méthode dialectique. La Bible est pleine de ces situations critiques où se jouent les destins et fortunes sous l’œil fatigué d’un Dieu écoeuré : « Je vais effacer de la surface du sol les hommes que j’ai créés, et avec les hommes, les bestiaux, les bestioles et les oiseaux du ciel, car je me repens de les avoir faits »[2]… Lorsque le créateur lui-même résout  « sa » crise en effaçant sa création…

L’homme se croyait autonome, il n’est qu’un instrument… en quoi est-il alors responsable ?

Idéologies, religions, philosophies ; sciences…  « Vanité des vanités, dit Qohélet, et tout est vanité… trop de parole ;  poursuite du vent »[3].

Réfutation de la thèse

C’est là évidemment qu’arrive l’éthique : si tout est égal, si tout se vaut, alors à quoi bon ? Quel est l’intérêt pour le fonctionnaire de bien faire son boulot ? Le plaisir du devoir accompli ? L’intuition de lutter contre le système en se servant du système lui-même ? Illusion, orgueil… ou réalité. Le surfer se sert de la vague… C’est tout.

L’homme veut raconter l’Histoire comme s’il en était l’inventeur, le créateur, alors qu’il n’est qu’un acteur connaissant mal son texte et son rôle. Seul le transgresseur, le Judas peut espérer à la fois révéler la crise et trouver une issue provisoire, jusqu’à la prochaine… Mais nous étions déjà bien engagés dans la nuit pour donner suite à cette nouvelle piste.  Peut-être une autre fois.

Malgré, et peut-être à cause de tout cela, il est des voix ce soir pour affirmer que justement la responsabilité et  la grandeur de l’Homme, consiste à faire face, même si les prémices de la crise de lui appartiennent pas.

Si l’être humain ne veut être ni esclave ni aliéné, il lui faut – selon la fameuse formule d’Albert camus – «  imaginer Sisyphe heureux ».

Ce que sartre exprimait autrement : « Nous pouvons dire qu’il y a une universalité de l’homme ; mais elle n’est pas donnée elle est perpétuellement construite. Je construis l’universel en me choisissant ; je construis en comprenant le projet de tout autre homme, de quelque époque qu’il soit »[4]

Beaucoup d’autres philosophes pourraient venir à la rescousse, mais le temps nous manque. Quoi qu’il en soit, même si la thèse exposée prétend que l’homme n’est pas responsable, il n’en reste pas moins vrai, qu’il est obligé de faire des choix, ne serait-ce que dans sa vie quotidienne de citoyen. C’est cette nécessité qui le rend libre, parce qu’elle l’oblige à faire des distinctions tout au long de la longue courbe du temps. La crise est un moment privilégié d’un choix possible, jusqu’à une prochaine crise. Le paradoxe liberté – nécessité est aussi ancien que la philosophie grecque, et le thème abordé ce soir est encore un moyen de revenir à cette  question primordiale.

Prochaine rencontre.

Lundi 19 janvier 2009

Thème : Y a t il un devoir de transmission ?

[1] Hegel : « La raison dans l’histoire ».

[2] Genèse : 6 – 7 et ss.

[3] L’Ecclésiaste.

[4] Jean Paul Sartre : « l’Existentialisme est un Humanisme ».